Éveils intempestifs
Imagine-toi dans cette scène, banale et terrifiante à la fois : tu as 36 ans, ta boîte de consulting en transformation digitale vient de franchir le million d'euros de chiffre d'affaires, tu possèdes ce magnifique appartement de 170m² que tu as rénové dans le 17ème, plus ton portefeuille d'investissements qui frôle les 800 000€. Tu t'agenouilles devant Camille, cette attachée de presse rencontrée il y a huit mois, qui gagne 28 000€ par an et partage encore un deux-pièces avec une colocataire à Belleville.
Le diamant Tiffany de 12 000€ scintille dans son écrin. Elle te regarde, émue, mais hésite quelques secondes qui te semblent une éternité.
Mais voici le détail qui devrait glacer ton sang d'entrepreneur averti : en cas de divorce, Camille pourrait légalement réclamer une pension alimentaire compensatoire représentant jusqu'à 35% de tes revenus annuels. À vie. Soit potentiellement 280 000€ par an, recalculés chaque année selon l'évolution de tes revenus, sans limitation de durée, même si elle se remarie ou refait sa vie. L'article 270 du Code civil français permet au conjoint en situation de "besoin" d'obtenir cette rente viagère, calculée sur la "disparité substantielle" des conditions de vie créée par le mariage.
Toi, dans ton élan romantique, tu ne le sais pas encore. Tu viens de proposer à une femme que tu fréquentes depuis moins d'un an de devenir ta créancière principale jusqu'à ta mort.
Qui demande quoi à qui, exactement ? Et surtout... pourquoi ?
Cette interrogation m'obsède depuis des mois. Parce que derrière cette théâtralité romantique se cache une mécanique implacable que peu osent nommer : le mariage moderne constitue peut-être l'une des dernières escroqueries légalisées de notre époque. Une arnaque si bien orchestrée que ses victimes en redemandent, persuadées d'y trouver leur salut.
La géométrie du désespoir
Observons froidement cette dynamique. Dans quelle configuration relationnelle assiste-t-on typiquement à une demande en mariage ?
Celui qui détient le moins de cartes propose l'engagement.
Cette règle, aussi cruelle soit-elle, traverse les époques avec une constance troublante. L'homme qui sent sa partenaire s'éloigner, qui perçoit dans ses silences les prémices d'un départ, qui devine dans ses regards cette lassitude particulière... cet homme-là sort la bague. Pas celui qui domine la relation, pas celui qui pourrait partir sans un regard en arrière. Non, celui qui craint d'être quitté.
Le mariage devient alors l'ultime tentative de consolidation d'une position défaillante. Une manoeuvre désespérée pour transformer une relation bancale en engagement officiel. Comme si un contrat pouvait ressusciter un désir moribond, comme si des papiers officiels pouvaient rallumer une flamme qui s'éteint.
Cette asymétrie révèle une vérité dérangeante : la demande en mariage constitue souvent l'aveu public d'une faiblesse relationnelle. L'admission tacite que, sans cadre légal, cette union ne survivrait pas.
L'État, grand bénéficiaire de vos tourments
Mais qui tire réellement profit de cette mascarade ? Certainement pas les époux.
L'État moderne a transformé le mariage en machine à cash optimisée. Chaque union génère des revenus immédiats : frais de dossier, taxes sur les alliances, TVA sur les cérémonies. Puis viennent les bénéfices à long terme : optimisation fiscale qui permet de taxer différemment, création d'unités de consommation standardisées, facilitation du contrôle social.
Et le divorce ? Une manne encore plus juteuse. En France, l'industrie du divorce représente plus de 2 milliards d'euros annuels : frais d'avocat (minimum 3 000€ par partie), partage des biens (droits d'enregistrement à 2,5%), pensions alimentaires qui transitent par les CAF et génèrent des frais de gestion... L'État prélève sa dîme à chaque étape de cette décomposition organisée.
Pierre Bourdieu l'avait parfaitement cerné :
« L'État est le lieu géométrique de tous les pouvoirs symboliques. Le mariage civil n'échappe pas à cette logique de domination déguisée en protection. »
Cette institution prétendument protectrice crée en réalité une dépendance structurelle. Elle transforme des individus autonomes en contribuables mariés, soumis à un arsenal juridique complexe qui les dépasse largement.
Combien d'entrepreneurs florissants se sont retrouvés ruinés par un divorce ? Combien ont vu leur patrimoine professionnel déchiqueté par des procédures qu'ils ne maîtrisaient pas ? L'État encaisse, les avocats s'enrichissent, et les ex-époux se battent pour les miettes.
L'illusion de la sécurité moderne
Historiquement, le mariage répondait à des nécessités pragmatiques : alliances familiales, transmission patrimoniale, survie économique. Dans l'Europe médiévale, une femme non mariée risquait littéralement la famine. Un homme sans épouse voyait sa lignée s'éteindre.
Mais aujourd'hui ? Quelle urgence vitale justifie encore cette institution ?
Les femmes gagnent leur vie, possèdent leurs biens, élèvent leurs enfants seules si nécessaire. Les hommes peuvent externaliser toutes les tâches domestiques, accéder à une vie sexuelle variée, construire des relations affectives profondes sans contrat.
L'argument de la « sécurité » ne tient plus. Quelle sécurité peut offrir un engagement révocable ? Un contrat qu'une des parties peut briser unilatéralement, en conservant la moitié des biens de l'autre ?
Cette prétendue sécurité cache en réalité une insécurité structurelle maximale. Le mariage moderne transforme chaque époux en otage potentiel de l'autre, en créancier involontaire d'une dette qu'il n'a jamais contractée.
Révélations nocturnes à Bordeaux
Il y a quelques années de cela, je partageais un dîner prolongé avec cette demoiselle Russe dont j'avais déjà évoqué l'intelligence acérée. Conversation électrisante, tension palpable, cette alchimie dangereuse qui transforme un simple repas en exploration mutuelle des limites.
Vers une heure du matin, alors que nous déambulions du côté du Triangle d’Or (Bordeaux), la conversation dériva vers l'engagement. C'est là qu'elle m'avoua être fiancée depuis deux ans.
Deux ans.
Pourtant, quelques minutes plus tard, lorsque je pris délicatement son visage entre mes mains pour accentuer un point de notre discussion, ses yeux se fermèrent légèrement. Son souffle se suspendit. Cette femme fiancée frissonnait sous mon contact, émue jusqu'au trouble par cette intimité interdite.
« Pourquoi ne pas vous marier alors ? » lui demandé-je, mes doigts effleurant encore sa joue.
Sa réponse fut un murmure : « Parce que le moment où nous signerons ces papiers sera le début de la fin. Tu le sais aussi bien que moi. »
Cette Slave pragmatique venait de formuler en une phrase ce que des milliers de couples refusent d'admettre. Le mariage ne couronne pas une relation réussie. Il la fossilise, la bureaucratise, la transforme en enjeu juridique.
Cette nuit-là, en regardant ses yeux troublés par notre proximité, j'ai compris que nous avions créé une génération d'hommes conditionnés à mendier l'engagement plutôt qu'à l'incarner naturellement.
L'hérésie de l'officialisation du couple
Notre époque souffre d'une obsession pathologique plus pernicieuse encore : celle de l'officialisation du couple. Cette manie contemporaine de vouloir définir la relation révèle une incompréhension fondamentale des dynamiques de pouvoir authentiques.
Observez cette scène, quotidienne et pathétique : un homme demande à une femme « Alors, on se met ensemble ? », « Tu veux qu'on soit officiellement en couple ? », « On fait quoi nous deux ? ». Cette supplication masquée en interrogation romantique constitue l'une des erreurs les plus fatales qu'un homme puisse commettre.
L'homme véritablement désirable ne demande jamais l'officialisation.
Pourquoi ? Parce qu'en posant cette question, il révèle une insécurité fondamentale. Il avoue avoir besoin d'un cadre rassurant, d'une validation externe, d'une définition sociale pour se sentir légitime. Il renonce par anticipation à sa liberté la plus précieuse : celle de partir à tout moment.
L'homme alpha authentique fonctionne selon une logique inverse. Il incarne l'engagement par ses actes, sans jamais le verbaliser ni le négocier. Il devient si précieux, si désirable, si irremplaçable que c'est la femme qui, naturellement, décide de ne plus fréquenter que lui.
Cette dynamique respecte l'ordre naturel des choses : c'est elle qui reconnaît sa valeur incommensurable et choisit l'exclusivité. Pas par contrainte, pas par négociation, mais par évidence pure. Elle comprend instinctivement qu'un homme de cette trempe ne se trouve pas sous les sabots d'un cheval.
L'officialisation devient alors inutile. Elle s'impose d'elle-même, par la force des choses, sans discussion ni cérémonie. Cette femme ne tolère plus la présence d'autres femmes autour de cet homme, non par jalousie possessive, mais par reconnaissance de sa rareté.
L'alternative de l'engagement conscient
Que proposer alors ? L'abandon de tout engagement ? Le culte de l'éphémère relationnel ? Certainement pas.
La solution réside dans ce que j'appelle l'engagement conscient : choisir délibérément, jour après jour, de construire quelque chose ensemble. Sans contrat, sans contrainte, sans chantage juridique. Par pure volonté mutuelle.
Cette forme d'engagement requiert une maturité émotionnelle que le mariage dispense justement d'acquérir. Elle exige une communication constante, une remise en question permanente, une créativité relationnelle que l'institution matrimoniale éteint par sa routine légale.
L'homme véritablement puissant ne demande pas l'engagement. Il l'incarne. Il devient si désirable, si précieux, si irremplaçable que la question du départ ne se pose même plus. Non par contrainte, mais par évidence.
La véritable révolution amoureuse de notre époque ne passera pas par une réforme du mariage. Elle naîtra de son abandon progressif par tous ceux qui auront compris que l'amour authentique ne se négocie pas, ne se contractualise pas, ne s'officialise pas.
Il se vit, intensément, librement, consciemment.
Et peut-être qu'alors, nous cesserons enfin de confondre engagement et emprisonnement.
∴ Solve et Coagula ∴